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lundi 21 mai 2007

la couleur des briquets

Ashrafieh...
il y a trois mois, j'ignorais jusqu'à l'existence de ce vocable...
en avril ce mot est sorti des limbes pour prendre réalité sous la forme d'un quartier de Beyrouth Est, la zone chrétienne, où David m'a accueuilli au mois d'avril

La voiture piègée d'hier a explosé à quelques centaines de mètres de l'appart de Dav, devant l'ABC, un centre commercial où je suis allé boire un verre avec Georges, ce pote d'unif libanais que certains d'entre vous connaissent. Un coin chic, une colline incroyablement pentue que j'ai grimpé et descendue à pied je sais pas combien de fois histoire d'économiser un taxi... A 100 mètres de l'ABC, une église... Mar Mitr, Saint Dimitri

Au sommet de la colline, un gros carrefour

En rentrant d'une soirée passablement arrosée, alors que l'aube commençait à pointer son nez, david et moi on s'est arrêtés dans une aubette-librairie pour qu'il s'achète un briquet (il avait sans doute pas encore assez fumé ce soir-là...)

Le gars à la caisse est entouré de quelques uns de ses potes ils se racontent sûrement des blagues bien lourdes parceque j'ai beau pas comprendre le libanais j'ai reconnu les mêmes rires que ceux de mes potes à moi...
David demande le briquet donc et là le gars s'arrête de rire, le regarde intensément avec ses yeux de libanais, clairs et en amandes, et lui demande "quelle couleur, le briquet?" gros silence, les potes du gars la ferment et se mettent à le fixer aussi. Les couleurs là-bas, comme ici d'ailleurs, correspondent aux partis politiques,

Je sens David très très très mal à l'aise. moi je suis juste très très mal à l'aise d'abord parce que c'est pas moi qu'on interroge et puis parce que j'ai esquivé les sticks de fin de soirée. En un flash, je me rappelle les quelques fois où j'ai du masquer pour répondre à des flics lors d'un contrôle en rentrant de soirée, juste que là c'est pas des flics, c 'est des gars qui sont peut-être des miliciens avec la kalash sous le comptoir...
J'ai l'impression d'entendre les neurones gémir sous le crâne de David... Il bredouille... le temps est incroyablement élastique... "euuuuuh, .....jaune?" merde pas bon, le gars fait des gros yeux (clairs et en amandes), juste, le jaune c'est Hezbollah... moi j'avise le t shirt rouge d'un des potes du libraire et je fais ,en sautillant de stress , en le pointant du doigt : "rouge, rouge, rouge!" le gars au t shirt se marre, le libraire approuve un peu, il supporte les communistes.

En regardant David j'ai un nouveau flash, je revois "La grande vadrouille" la scène où Bourvil est interrogé par les Fritz et où courageusement il déclare "vous pouvez me torturer, je ne parlerai pas!" et où De Funes renchérit "oui, vous pouvez le torturer, je ne parlerai pas non plus!" je vous laisse le soin de répartir les rôles...

David tente un bleu, le libraire :"bleu ça va" le bleu est pour les hariristes du mouvement du futur, le gars est donc un chrétien pro-gouvernemental, des Forces Libanaise ou du Kataeb, les Phalanges de la dynastie Gemayel, (deux formations d'extreme droite qui aiment bien saluer en tendant le bras droit et massacrer les gens) puis il dit très sérieusement :"mais orange ça va pas du tout" nouveau silence... l'orange c'est la couleur du Mouvement Patriotique Libre du général Aoun, considéré comme traître par les chrétiens d'extrême droite entre autres à cause de son discours laïc et légaliste...

David et moi on secoue vigoureusement la tête de droite à gauche en faisant "ah bin non pas orange, pas bien l'orange". David paye le briquet bleu, on se dirige vers la sortie avec des sourires de faux culs...

Une fois dehors on pousse un gros soupir, et on se prend d'un incroyable fou rire. Plus loin on s'appuie à la balustrade pour une pause. David contemple longuement son briquet avant de s'allumer une clope... je me dis que j'ai vraiment bien fait d'arrêter de fumer, c'est vraiment dangereux le tabac.

On reprend le chemin de l'appart, dans moins de 10 min on pourra s'écrouler et cuver.

La bombe d'hier a pèté à 50 mètres de l'aubette
J'imagine le gars et ses potes
Ils se marrent plus, ou si justemment.
Ils sont peut-être en train de graisser leurs fusils en parlant du bon vieux temps de la guerre civile. Quand pour répondre à l'assassinat de Bachir Gemayel, leur chef, ils ont massacré du 16 au 17 septembre 82 dans les trois mille palestiniens (essentielement femmes et enfants) du camp de Sabra...


Ashrafieh...

2 commentaires:

Benneke a dit…

Yes ! Bravo Dim !
Excellente cette anecdote des briquets (tragique aussi bien sûr), tu l'avais gardée pour ton blog, petit cachotier !
Bravo aussi pour le blog ... mais euh ..., ça sort d'où cette couleur de papier peint ? On dirait celui de la grand-mère ... de ma grand-mère

Anonyme a dit…

Dans ce quartier, comme dans toutes les rues de Beyrouth, l'appartenance politique se lit sur les murs, comme tu le sais, ou figurent les portraits des leaders et martyrs des différentes mouvances politiques présentes,pour faire total faux cul tu aurai du choisir un briquet vert ou blanc,du drapeau des phalanges Kataeb,j'étais moi aussi sur place et mon hôtel a tremblé sous l'impact du souffle,tandis que les alarmes des voitures avoisinantes se sont mises à sonner.Piloté par un autochtone au faciès fort peu avenant auprés duquel le plus ombrageux des tueurs à gages passerait pour Candy,à bord d'une berline allemande de trés grosse cylindrée toutes options et plus, écrasé par la force centrifuge dans les virages et croisant des véhicules qui fuyaient le lieu de l'explosion,je me rendis sur place.
Le hurlement des sirènes des secours ne couvraient pas les ordres des militaires libanais aussitôt déployés pour interdire l'accés à la rue derrière l'ABC, où le mur d'une maison s'est écroulé causant la mort de l'unique victime de la soirée,une vielle dame innocente.Des civils,kalashnikov en bandoulière constituaient la touche ultime de ce chaos pourtant presque habituel dans cette ville.
Bravo pour cette nouvelle qui mériterait un peu d'images par dessus.